Charpentière, 2020
Je sors de chez un fournisseur les bras chargés de quincailleries diverses et retourne au camion, là 3 gars des services municipaux un café à la main me lancent un « ah bah voilà ! Enfin une femme qui travaille ».
Je suis sur un chantier que je connais bien et sur lequel je travaille depuis le début. Mon coéquipier était, ce jour-là, quelqu’un qui lui ne connaissait pas du tout le chantier : j’étais donc la personne référente pour toutes les questions le concernant. Le menuisier avait une question concernant les hauteurs de linteaux que l’on devait modifier. Il s’adresse directement à mon collègue qui lui répond ne pas être au courant car il ne connaît pas ce chantier. J’interviens dans la conversation en répondant à la question qu’il posait, il me regarde étrangement puis continue à s’adresser à mon collègue comme si je n’étais pas là. La «conversation» s’est poursuivie comme ça jusqu’au bout, sans qu’il ne m’adresse la parole, avec mon collègue qui répétait ce que je disais comme s’il faisait une traduction. C’était surnaturel et désarmant.
Une situation qui m’est arrivée souvent, on parle de moi comme si je n’étais pas là! «Elle a fait ça, tu lui diras de faire ceci cela, je l’enverrais à la SAMSE faire l’appro, etc.» Alors que je suis juste là, dans le cercle de la conversation.
Je charge des paquets de liteaux sur le camion, un gars qui passait par là me regarde d’un air méprisant et très moqueur, il s’adresse à un de mes collègues qui passe à coté : « Faites attention qu’elle vous les mette pas dans la tête, elle a l’air dangereuse.»
Les périodes #metoo puis #balance ton porc ont été très pénibles, avec une recrudescence de propos et blagues misogynes, conclues par des : «fais gaffe tu vas finir en taule!», ou des : «attention on peut plus rien dire maintenant».
Un gars vient dépanner le manuscopique dont un pneu est transpercé par un fer à béton. Il semble avoir beaucoup de mal à extraire le fer. Je lui demande si une partie dépasse à l’intérieur du pneu (auquel cas je lui aurait prêté une visseuse pour sortir l’intrus !) mais il ne me répond pas. Je retourne à mon travail, je suis donc sur le chantier, en largeot avec ma sacoche les outils à la main. Au bout d’une heure, il vient me voir pour me demander si j’ai quelque chose pour pousser le fer, il m’explique le principe comme si j’étais complètement stupide ou qu’il expliquait à un très jeune enfant, avec beaucoup de gestes etc. Je lui donne mon chasse pointe. Lorsque mon collègue revient sur le chantier, il s’étonne que le gars n’ait toujours pas fini la réparation et le voit essayer de sortir le fer en tapant dessus et lui pose la même question que moi 2 h plus tôt. Là il répond qu’effectivement une partie dépasse à l’intérieur. Mon collègue attrape une visseuse et sors le fer en 10 secondes! En partant le réparateur va voir mon collègue avec mon chasse pointe en lui disant: «Tiens, je te rends ça, j’avais demandé à ta femme. »
Je suis sur le toit, en débardeur, au printemps, un ancien collègue de mon patron passe dans la rue et s’adresse à mon collègue qui est juste à coté de moi: « Elle va s’enrhumer la blonde ! » et mon collègue qui répond : « Il fait pas si froid ! », sans même me laisser le temps d’en placer une pour remballer l’autre.
Entretien d’embauche bidon :
Je me rends à un entretien d’embauche. Le patron arrive (avec une bonne demie heure de retard) me serre la main et me regarde de la tête aux pieds de façon insistante, je me sens très mal à l’aise. Il commence par : «Je vous ai fait venir parce que je voulais voir. J’ai jamais vu de fille dans le bâtiment. Et puis je voulais vous demander comment vous faites ?»
– « Comment je fais pour quoi? Pour le port de charges lourdes?
– Non, oui aussi, mais pour aller aux toilettes.»
Un patron qui est très fier d’embaucher des femmes précise que c’est vraiment bien parce quelle sont propres et polies avec les clients. (Sous entendu pas comme les autres ouvriers…)
Diverses choses entendues:
En voyant une fille en short sur le trajet vers le chantier : «Ah bah il faut pas qu’elles s’étonnent si elles se font violer».
Une discussion sur le viol : «Oui mais si tu comptes le conjugal ! C’est pas du viol quand c’est ton copain ou ton mari».
Les femmes sont des manipulatrices.
Les mains de femmes c’est pas fait pour faire ça [la maçonnerie].
Les trucs de tafioles, tapettes.
Etc.
Puis toutes les «blagues et proverbes» quasi quotidiennes, plus ou moins violentes. : «Si tu veux pas te prendre des échardes, tape ta femme!» (pour faire de la corne), «femme au volant..», etc.
Et puis tout ce que j’efface rapidement de ma mémoire pour ne pas me polluer.
Chauffagiste (solaire), 2020
Souvenir de chantier. J’arrive avec mon collègue chez le client, qu’il connaît depuis un moment. Le client lui demande : «T’es venu avec une apprentie ?». Mon collègue est embarrassé : «Euh, non, c’est ma collègue.» Le client se «rattrape» : «Ah mais avec toi tout les monde est apprenti.e !»
J’arrive à la chaufferie. Le client nous suit et il reste tout le long de l’intervention. Il observe chacun de mes gestes. Je dois dénuder un tuyau avec un cutter, je me concentre pour pas déraper, ce n’est pas le moment d’être approximative ! À la fin de l’opération, il me gratifie d’un : «Bravo !»
À la première pièce grippée qui résiste, il me dit : « C’est formidable, c’est incroyable de te voir faire ça !» Je demande pourquoi. «Il faut de la force quand même !»
Pendant tout ce temps, il raconte sa vie, il dit qu’il se passionne pour la cuisine, «d’ailleurs, vous restez manger à midi ?» On accepte. C’est sa femme qui a fait tout le repas. Et il s’est même permis de dire : «Ah bin au moins elle a assez cuit les patates ! C’est de la bouillie là !»
Charpentière, 2020
Expériences dans des entreprises de charpente
7h du mat’ : les gars commencent direct par des blagues de cul, des allusions sexuelles. Ça me saoule, mais on s’habitue, c’est leur forme d’humour. Par contre, ça me fait super chier quand ça concerne moi ou ma collègue, ou leur meuf. Là, j’ai envie de leur casser les genoux. Ils font des blagues en disant que je pars seule, en chantier, avec un de mes collègue homme et qu’il a un rouleau de scotch, avec des allusions sur le fait qu’il va me scotcher la tête en bas. Ça les fait rire et moi vraiment pas. Il est 7h du mat, bordel !
J’ai appris que notre patron ne voulait pas que je bosse avec ma collègue, donc je ne suis jamais avec elle. Pourtant on a sûrement plein de trucs à se dire ! Le patron dit qu’une femme sur un chantier, ça va, mais deux ça ferait pas professionnel, ça ferait mauvais genre pour les gens qui voient ça. Je soupçonne aussi le fait qu’en bossant ensemble, on s’oppose encore plus fortement à lui et aux collègues. Du coup, on a pris nos numéros et on se verra à côté du boulot !
Dans une boîte de charpente, tous les salariés de la boîte sont là, le patron aussi. Un voisin entre pour dire bonjour à tout le monde dans l’atelier, il me dit : « Et toi, t’es stagiaire ? » Quand on est une femme*, on est stagiaire à vie.
Entretiens d’embauche
Boîte d’intérim, par téléphone : « C’est pas commun les femmes dans la charpente. Vous êtes de bonne constitution ? »
En face à face, à l’agence : « Non, mais sinon vous aimez la charpente ? » « Bah c’est mon métier, bien sûr que j’aime la charpente » Pose-t-il la question aux hommes cis*? « Je vais vous proposer à l’employeur, mais faut savoir qu’il y aura 25 gars dans l’atelier, alors c’est pas sûr qu’il accepte à cause de l’ambiance que ça peut créer » [Genre boîte de nuit ? Genre mâles en rut ? ] « Et puis faut savoir que c’est compliqué par rapport au droit du travail » [Ah bon ? Je savais que les enfants et les personnes sans papiers n’avaient pas le droit de travailler, mais pas les femmes*]. Sûrement à cause des vestiaires obligatoires pour femmes*.
Dans une autre boîte où je postule: « Votre profil nous intéresse. Moi ce que je veux c’est que vous mettiez une bonne ambiance sur les chantiers [Décidément j’aurai dû faire DJ]. Et que les gars travaillent mieux. Ils ne sont pas assez minutieux [Nous y voilà, je vais encore devoir faire les finitions…]»
Après réflexion, c’est aussi qu’en déplacement, les gars ont tendance à boire le soir et faire la fête, et je suis sensée empêcher ça. Police des mœurs, bonjour ! Et puis une femme ça picole pas, on le sait.
La vie en déplacement
Je suis à l’hôtel seulement avec des gars, tous du bâtiment. Les seules femmes de l’hôtel sont les serveuses du bar-restaurant. Les hommes, je ne sais pas s’ils sont très loin de chez eux, ni si c’est exceptionnel. En tout cas, c’est la « maison des hommes », on apprend à se faire servir par des femmes, à ne pas faire à manger, ni le ménage de sa chambre. On vit entre hommes, on picole le soir au bar de l’hôtel. Le pichet de rouge est compris dans la note du repas. Ça a ses bons et mauvais côtés. Pas de petite femme pour se faire réconforter. Mais on sait qu’elle nous attend le week-end, qu’on va reprendre ce mode d’être servi, de rien foutre (enfin j’espère sincèrement que ces types, rentrés chez eux font les tâches ménagères, allez savoir…).
Repas de noël de la boîte de charpente. On est au resto. Tout le monde est bourré. J’ai voulu savoir si les blagues qui se faisaient le plus étaient des blagues racistes ou sexistes ou homophobes. Et bien c’est les blagues homophobes (sur les pédés) qui ont été les plus nombreuses. Parce que quand même dans le bâtiment, on est des bonhommes ! Les blagues homophobes tombaient principalement sur le jeune apprenti. On aime bien les hiérarchies dans le bâtiment.
Couvreuse, début 2000
Le midi, quand on déjeunait au resto ouvrier, j’étais la seule femme. Même avec mon bleu de travail dégueu, il y avait systématiquement des hommes cis* qui me passaient leur commande lorsqu’ils me croisaient.
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Vous pouvez aussi retrouver d’autres témoignages sur le site internet de La Cédille, association de lutte contre les discriminations de genre dans le bâtiment.