La force physique est-elle nécessaire pour pouvoir bricoler ?
La sociologue Stéphanie Gallioz nous invite à réfléchir à la construction de deux « mythes » sur lesquelles se basent les métiers du bâtiment et les font rester masculins : la « femme fragile » et la « force faite homme ». Pour elle, les deux sont des constructions sociales. Elle dit : « les femmes ont toujours occupé des emplois à fort taux de pénibilité requérant force et résistance (agricultrice, aide-soignante). » Mais quand les femmes font ces métiers, on en minimise la difficulté, ou on ignore leur force.
Par exemple, « les femmes ont exercé des tâches physiquement dures qui se sont construites par la suite au masculin. C’est le cas au Moyen-âge, où nous trouvons dans toute l’Europe du centre et de l’ouest des femmes exerçant des métiers au caractère physiquement très pénibles et que nous considérons aujourd’hui comme « typiquement masculins », par exemple la métallurgie ou le bâtiment. De même au XIXème siècle, on trouvait des femmes travaillant dans les mines (Germinal de Emile Zola) ou transportant des marchandises. » On pourrait rajouter les périodes de guerre où les femmes ont remplacé les hommes dans les champs et les usines, en plus du travail domestique.
Autre exemple, c’est dans le secteur des installations thermiques qu’il y a le moins de femmes dans le bâtiment. Pourtant, les éléments à assembler pour ces installations sont plutôt légers, donc si on s’en tient à la force physique comme critère, ça ne tient pas. C’est plutôt la technicité supposée qui fait qu’il y a moins de femmes. Pour l’électricité, c’est la même chose. Dans les usines d’électronique, la plupart des personnes qui y travaillent, ce sont des femmes. Mais l’électricité est perçue comme une sorte de « boîte noire », un peu magique, que seuls les hommes cis savent dompter.
Endurer la pénibilité est devenu une capacité uniquement masculine, et fait partie de l’identité des «ouvriers du bâtiment». Mais les outils utilisés sur les chantiers sont parfois les mêmes que pour bricoler de façon non-professionnelle… On constate que les « contraintes biologiques des grossesses et des soins aux enfants » n’empêche pas les femmes de travailler durement, et que c’est bien autre chose qui se passe. Paola Tabet donne encore un exemple, tiré de recherches anthropologiques : chez les Maori de l’île de Firth, dans les années 50, les femmes faisaient les mêmes activités que les esclaves, hommes cis et femmes (transport de l’eau et du bois, désherbage, cuisine). Autant dire qu’on considérait qu’elles étaient fortes.
Il y a donc un mensonge au départ. Ce n’est pas la force physique qui manque aux femmes, c’est la société qui est structurée par des rapports sociaux de sexe empêchant les femmes d’accéder à certaines activités valorisées, parmi lesquelles l’utilisation de techniques et d’outils, et qui rendent leur force physique invisible.
Et si, effectivement, il y avait quelqu’une.x qui manquait de force physique pour bricoler ?
Eh bien, je pense que justement, les outils pourraient l’aider !
Margaret Mead, dans les années quarante, disait : « Il serait absurde de fermer à la femme des activités où sa force physique n’est que légèrement inférieure à celle de l’homme, alors qu’une simple commodité technique lui conférerait autant d’efficacité qu’à son compagnon. » Pour elle, qui voyait les technologies devenir de plus en plus accessibles et performantes, la différence entre les sexes est « une fiction », basée sur de petites différences qui ne justifient pas un traitement différencié.
Aujourd’hui, pour travailler sur les chantiers, bien sûr qu’il faut être endurant·e·x, tonique·x, mais avec les moyens de levage qui se sont mécanisés, une attention est portée à ne pas « perdre sa vie à la gagner ». Les douleurs dont souffrent les différents corps de métier devraient nous alerter sur les dangers de la pénibilité comme valeur structurante du bâtiment. Les accidents du travail, les maux de dos, les chutes mortelles, font des métiers de la construction des métiers dangereux.
Il y a tout de même de petits changements : avec la nouvelle norme de 2002, qui a fait passer de 50 à 35 ou même 25 kg les sacs de ciment, la pénibilité de la maçonnerie a été réduite, grâce à un travail commun des organisations professionnelles et des fabricants de ciment. On peut espérer qu’en diminuant la pénibilité associée aux outils et matériaux des chantiers, et donc du bricolage, l’accès en sera facilité pour toutes et tous.x, et les conditions de travail améliorées. De plus, les bras musclés des femmes qui portent régulièrement des enfants de 5 ou 6 ans, pesant 25kg, permettront sûrement de leur rendre accessible la pratique de la maçonnerie d’agrément…
Gallioz, S. (2006). Force physique et féminisation des métiers du bâtiment, Travail, genre et société, 2(16), 97-114.
Gallioz, S. (2007). La féminisation des entreprises du bâtiment : le jeu paradoxal des stéréotypes de sexe, Sociologies pratiques, 1(14), 31-44.
Mead, M. (1966). L’un et l’autre sexe. Paris : Denoël/Gonthier.
Il y a aussi le texte-phare de Paola Tabet: Les mains, les outils, les armes.
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